Un an après, jour pour jour : des nouvelles des nickelates supraconducteurs

Un an après, jour pour jour : des nouvelles des nickelates supraconducteurs

Hello ! Retour sur le blog après quelques mois de pause rédactionnelle.

J’ai décidé ici, au même moment où je tente de remettre un pied à l’étrier dans la recherche et l’enseignement scientifique tout en maintenant en parallèle un apprentissage constant des sciences, de faire un petit article « topo » sur la fameuse découverte qui a secoué fin août 2019 le (petit) monde des physiciens de la matière condensée. J’ai nommé : la mise en évidence pour la première fois de la supraconductivité dans un nouvel oxyde de nickel, un nickelate supraconducteur. Une année entière, jour pour jour, s’est aujourd'hui écoulée depuis la parution dans la revue Nature de la fameuse publication « coup de tonnerre » un certain 28 août 2019 [1]. Lorsque je me connecte à Google Scholar, je peux d’ores et déjà constater que la publication de Li et al. fait l’objet de 119 citations, ce qui est tout simplement extraordinaire et démontre l’engouement mondial des groupes de recherche en physique et chimie du solide dans cette voie prometteuse (fig 1). Je me suis donc dit qu’il pouvait être intéressant de regarder un peu ce qui a été fait sur ces nouveaux matériaux afin de voir ce que les scientifiques du domaine nous auraient appris en cette année si particulière. Dès lors, que s’est-il donc passé en ce premier anniversaire des nickelates supraconducteurs ? Quelles certitudes les scientifiques du domaine peuvent-ils déjà nous apporter ? Quelles pistes ont été éliminées ? Cependant, il faut rester prudent. La course à la publication et aux résultats plus vite que son ombre est là, sous nos yeux, tous les matins sur le site Arxiv.org (cond-mat). Ainsi, presque tous les trois jours peut on y voir apparaître un nouvel article sur ces nouveaux nickelates supraconducteurs. Je rappelle que ces papiers scientifiques sont des documents de travail soumis à des revues qui font appel à des spécialistes mondiaux du domaine pour effectuer un travail de vérification. Sur l’année août 2019 - août 2020, je compte seulement 63 articles publiés dans des revues scientifiques sur les 119 papiers déposés en ligne.

Figure 1

Alors avant toute chose, replaçons nous dans le contexte scientifique et historique afin d’appréhender au mieux l’impact de cette découverte (cf mon précédent article plus détaillé sur le blog) . En janvier 1986, Bednorz et Müller, deux physiciens d’IBM à Zurich, faisaient la découverte surprise d’une supraconductivité apparaissant en-dessous d’une température critique très élevée (30 K) dans un composé pour le moins surprenant : un oxyde de cuivre (cuprate) isolant et magnétique [2] ! Durant des années auparavant, les températures critiques maximales pour lesquelles la résistance des composés supraconducteurs s’annulait atteignaient au maximum 20 K dans certains alliages métalliques qui étaient donc conducteurs et certainement pas magnétiques. Tout cela était bien évidemment en accord et prédit par la théorie unanimement admise à l’époque dans la description du phénomène. Cette découverte avait alors surpris mondialement la communauté des physiciens à tel point que les journaux n’ont pas hésité à qualifier la grande conférence de mars 86 organisée par la puissante American Physical Society de « Woodstock de la physique ». La découverte fera même la couverture du Time Magazine quelques semaines plus tard. Très vite, les observations de Bednorz et Müller ont été reproduites et une véritable course « aux nouveaux supraconducteurs » s’est engagée (voir le livre de Robert Hazen « la course aux supraconducteurs » qui décrit très bien l’histoire de la découverte). Ainsi, beaucoup de cuprates supraconducteurs (fig 2) en tout genre ont été découverts et synthétisés en laboratoire [3]. Depuis lors, la température critique maximale observée et atteinte est de 165 K (température ambiante : 300 K) et tout cela sans comprendre exactement ce qu’il se passe au niveau microscopique...

Figure 2. Un cuprate supraconducteur en lévitation magnétique (effet Meissner). Crédits : Wikipédia.

Nombreuses sont les théories proposées pour tenter de capturer l’explication microscopique du phénomène mais aucune n’est actuellement en mesure d’identifier clairement ce qu’il se passe tant les modèles proposés dans l’explication du comportement des électrons font encore largement débat [3]. En effet, les physiciens ont été pendant très longtemps aux prises avec un réel problème beaucoup plus pragmatique. Depuis 1986, bien d’autres oxydes de métaux de transition ont, en effet, été pensés, proposés, synthétisés sous une forme similaire aux cuprates (structurés sous forme de lamelles conductrices empilées) mais force a été de constater qu’aucun d’entre eux ne présentaient la sacro-sainte phase supraconductrice. Ainsi, on peut légitimement se demander s’il n’y aurait pas une singularité propre aux oxydes de cuivre lamellaires (CuO2) qui les conduiraient à être supraconducteurs. Le nickel, métal de transition siégeant juste à coté du cuivre dans le tableau périodique des éléments est évidemment un candidat potentiel. Celui-ci a fait l’objet d’un bon nombre d’études théoriques débattues en amont [4, 5] mais, malheureusement, les études expérimentales se sont avérées sans succès [6]. Ainsi, l’avènement du 28 août 2019 impulsé par les techniques chimiques poussées de Harold Hwang et de son équipe est venu totalement bouleverser le cours des choses puisque pour la première fois la supraconductivité était observée dans un oxyde de nickel lamellaire (NiO2) d’une structure similaire aux cuprates [1]. C’est donc la première fois en quelques décennies que les physiciens ont entre leur main un nouveau terrain de jeu pour explorer la supraconductivité non conventionnelle observée dans les cuprates jusqu’alors. Dès lors, avant de céder à l’excitation (légitime, qui plus est) il faut essayer d’identifier quelles sont les différences intrinsèques entre les deux types de composés en apparence très proches. Il faut, avant toute chose, étudier ce que l’on appelle la structure électronique des nickelates (la dispersion des bandes d’énergie des électrons) et la comparer à celle des cuprates. Il faut identifier aussi quelle est la nature de cette supraconductivité observée. Est-ce que cette dernière est bien non-conventionnelle et à haute température critique ? Quelle est la symétrie de son paramètre d’ordre ? Ne serait-elle pas due à un effet d’interface avec le substrat sur lequel croit le matériau, la température critique n’étant tout de même pas très élevée (9 - 15 K) ? Et bien d’autres questions qui ont conduit les physiciens du monde entier à s’intéresser aux nickelates et à proposer, à l’heure actuelle, presque 120 études (fig 1).


Lorsque je regarde les divers articles publiés en ligne, je me rends compte qu’il y a beaucoup d’articles théoriques et relativement peu d’articles expérimentaux. Ces points sont assez importants car cela vient en fort contraste avec l’évolution des recherches suite à la découverte des cuprates puisque un nombre colossal d’articles expérimentaux étaient sortis très peu de temps après la publication originale de 86 [2]. Ici, il semblerait que la technique de fabrication (réduction chimique complexe) de ces nickelates supraconducteurs est très spécifique et difficile à mettre en œuvre, elle serait même, selon certains auteurs, l’unique façon à l’heure actuelle de réaliser le composé nickelate NdNiO2 d’intérêt [7]. Cela ralentit forcement la recherche et laisse toujours planer le doute sur la reproductibilité des résultats. Un seul groupe a réussi actuellement à reproduire le travail de Harold Hwang et de son équipe [8]. Cependant la supraconductivité est observée dans un nickelate encore et toujours, dans le cas où ce dernier est sous la forme d’un film mince. La technique de réduction chimique (permettant, en partie, d’enlever le bon nombre d’ions oxygène des mailles élémentaires) en question semble tellement délicate que, dès lors que l’on souhaite faire des composés très épais et massifs ("bulk"), aucune supraconductivité n’est détectée [9]. Ceci est peut être dû à des défauts en oxygène ou en nickel qui, induisant du désordre, pourraient tuer la cohérence à longue portée des paires d’électrons (à l’origine de la supraconductivité). Cela n’empêche pas les auteurs du papier publié dans Nature de se poser la question de savoir si la supraconductivité observée serait finalement due à un effet d’interface [9], ce qui est d’ailleurs suspecté et argumenté par une étude théorique franco-italienne (cocorico) [10]. Concernant les cuprates, la supraconductivité est aussi bien observée dans les composés massifs que dans les films minces [11] et est, quant à elle, peu sensible au désordre [12].


Du point de vue théorique, beaucoup d’articles ont été publiés sur l’année. Lorsque l’on regarde ce qui a été fait, on voit émerger certains points sur lesquels les informations concordent et convergent. Ainsi, les calculs de structure électronique des nickelates supraconducteurs ont été réalisés par de nombreux groupes de recherche [13, 14, 15, 16, 17]. Les résultats montrent systématiquement que la différence en énergie entre le niveau d’énergie de l’orbitale 3d du nickel et le niveau d’énergie des orbitales 2p des ions oxygène est remarquablement plus élevé que dans le cas des cuprates. Cette différence en énergie est appelée « gap de transfert de charges ». En effet, le niveau 3d du nickel se trouve plus élevé énergétiquement que le niveau 3d du cuivre dans le cas des cuprates (fig 3). Il est maintenant établi, dans le cadre des cuprates, que ce fameux « gap de transfert de charges » est un ingrédient de première importance dans l’explication du phénomène de supraconductivité à haute température critique. Je cite, ici, l'article de Kotliar et Weber qui met en évidence la corrélation entre celui-ci et la température critique : plus le gap de transfert de charges est faible et plus la température de transition supraconductrice est élevée [18]. Le gap de transfert de charges étant le paramètre qui pilote la capacité du système à être magnétique (super-échange), lorsque celui-ci est faible le système montre une tendance au magnétisme et inversement. On peut, de plus, montrer algébriquement que ce super-échange magnétique est source d’anisotropie (onde-d) du paramètre d’ordre supraconducteur qui est maintenant un fait expérimental admis dans les cuprates [19]. Ainsi, compte-tenu de ces pièces du puzzle qui semblent bien correspondre, une des théories actuellement en vogue dans l’explication de la supraconductivité des cuprates serait que celle-ci trouverait son origine dans leur caractère magnétique [3].

Figure 3. Diagramme schématique décrivant l'énergie des électrons dans les cuprates à gauche et dans les nickelates à droite. EF désigne l'énergie de Fermi et ∆, le gap de transfert de charges. Le niveau d'énergie 3d, ici, correspond à l'orbitale active du métal de transition en question. Dans le cas des nickelates, l'énergie des électrons 3d s'éloigne du niveau d'énergie des électrons 2p augmentant ∆. Les états d'énergie 5d de la terre rare désignée par R sont ainsi accessibles dans les Nickelates contrairement aux cuprates. Crédits : APS/Carin Cain and M. Norman/Argonne National Lab [27].

Problème : les nickelates surpraconducteurs ne sont, quant à eux, pas magnétiques et de récentes mesures expérimentales montrent un paramètre d’ordre mixant de l’onde-d et de l’onde-s [20], ce qui fait une différence de taille avec les cuprates… Ceci pourrait être dû au gap de transfert de charges élevé et/ou à cause de la forte influence de la bande 5d du Néodyme (terre rare) présent dans le nickelate supraconducteur (autre hypothèse proposée par Lee et Pickett [6]).  En effet, dans les cuprates les états 5d associés à l’ion terre rare (lanthane, souvent) sont tellement élevés en énergie qu’ils deviennent inaccessibles aux électrons actifs (les physiciens parlent des électrons « à l’énergie de Fermi » ou électrons de conduction) qui demeurent sur les orbitales des ions cuivre. Dans le cas des nickelates, les calculs sont sans appel. Ils montrent clairement qu’il y a un recouvrement important de la bande 5d de la terre rare avec la bande 3d du nickel à l’énergie de Fermi (fig 3). La physique du système, déterminée par les bandes actives à l’énergie de Fermi, doit donc être déterminée sur la base d’un modèle prenant en compte, au minimum, ces deux bandes d'énergie. Rebelote, puisqu’il s’agit de nouveau d’une différence importante avec les cuprates…


Bien que cela puisse encore causer quelques débats houleux dans la communauté scientifique, il est tout de même très souvent admis que la physique des cuprates est déterminée par la dispersion en énergie de la seule bande 3d des ions cuivre [21]. Les modèles sont de plus en plus affinés de façon  être de plus en plus en phase avec la réalité expérimentale mais demeurent systématiquement sous la forme de modèles effectifs à une seule bande. Récemment, par exemple, le caractère tridimensionnel de la bande de conduction de certains cuprates a été mis en évidence expérimentalement [22]. Je m’étais donc intéressé avec mon directeur de thèse, dans le cadre de ma thèse, à interpréter ces résultats expérimentaux en construisant un modèle faisant intervenir les diverses orbitales mises en jeu. In fine, il fallait comprendre comment ces orbitales jouaient sur la seule bande du cuivre active à l’énergie de Fermi, celle qui nous intéresse. J’avais constaté que le faible gap de transfert de charges associé à la présence d’ions oxygène apicaux (en dehors des lamelles CuO2) impliquaient des sauts d’électrons à longue portée sur le réseau et ce, de façon tridimensionnelle, à ne surtout pas négliger aux prix de perdre en réalisme [23]. Comme le gap de transfert de charges dans le cas des nickelates est bien plus élevé et qu’il n’y a aucune présence, cette fois, d’ions oxygène apicaux, on peut s’attendre à ce que les électrons effectuent des sauts bidimensionnels à courte portée sur les lamelles NiO2. Mais attention, ici, n’oublions pas la fameuse bande 5d de la terre rare (Nd), qui, quant à elle, se situe en dehors de la lamelle NiO2 et vient se coupler aussi bien à l’orbitale 3d du cuivre mais vraisemblablement aux orbitales 2p des ions oxygène de la lamelle (fig 4). La physique du nickelate supraconducteur devient, dès lors, inévitablement tridimensionnelle malgré l’absence d’ions oxygène apicaux. Lorsque l’on regarde les articles théoriques publiés sur les nickelates supraconducteurs au cours de l’année, on se rend compte que les calculs sont réalisés, à juste titre, systématiquement dans une géométrie tridimensionnelle [13, 14, 15, 16, 17]. A contrario, il a fallu attendre 19 ans (2005, Markiewicz et al. [24]) pour que les cuprates soient étudiés sous un regard tridimensionnel.

Figure 4. Structure cristalline du nickelate NdNiO2. Ce matériau devient supraconducteur lorsque des ions Nd sont, partiellement, remplacés par des ions Sr (dopage en trous). Crédits : APS/Carin Cain and M.Norman/Argonne National Lab [27].

Ainsi, malgré les différences importantes observées entre nickelates supra et cuprates supra évoquées plus haut, on voit tout de même émerger petit à petit des similitudes frappantes. Par exemple, on peut aisément observer sur les différents articles à disposition sur Google Scholar que la dispersion de la bande 3d du nickel calculée pour les nickelates (composés parents) ressemble de façon saisissante à la dispersion de la bande du 3d du cuivre calculée pour les cuprates [14, 23, 24]. De plus, un premier diagramme des phases a été mesuré et présenté dans deux articles récemment publiés (le premier est toujours en cours de révision tandis que le second est publié dans la prestigieuse Physical Review Letters) [25, 26]. On peut facilement faire la comparaison avec un diagramme des phases générique des cuprates supraconducteurs (présenté sur la figure 5). On y voit clairement l’émergence d’un dôme supraconducteur lorsque des électrons sont retirés (procédure chimique que l’on nomme « dopage en trous») dans le composé nickelate parent alors métallique et non magnétique. A contrario, les composés parents cuprates sont isolants et magnétiques mais un dôme supraconducteur apparaît dès qu’ils sont légèrement dopés en trous. Comme on peut le constater sur la figure 5, dans le cas des nickelates, le dôme apparaît lorsqu’il y a plus de trous introduits que dans les cuprates et s’éteint plus tôt, par ailleurs. La température critique est aussi beaucoup moins importante. J’insiste pour attirer l’attention sur un point qui m’a fortement marqué lorsque j’ai vu le diagramme des phases des nickelates supra pour la première fois : la présence d’une sorte d’anomalie sur le dôme supraconducteur où, pour une valeur donnée du dopage en trous donnée, la température critique de transition supra décroît subitement avant de remonter rapidement. Dans le cadre des cuprates, cette anomalie que l’on appelle « anomalie au dopage 1/8 » (car celle-ci apparaît lorsque 12,5 % des électrons sont retirés) est très bien connue et documentée [28]. Dans le cas des cuprates et à cette valeur du dopage, il se forme ce que l’on appelle « une stripe magnétique » c’est à dire une mise en ordre des spins des électrons ( à l’origine du magnétisme) sous forme de "régions magnétiques" sur le réseau et séparées périodiquement par des "rivières" de trous : cela forme des « rayures magnétiques » [28, 29]. La supraconductivité « n’aime pas » cela et cela se traduit donc par une baisse de la température critique. Pour les nickelates, on observe une telle anomalie sur le dôme supraconducteur au dopage 20 % mais lorsque je regarde la littérature sortie au cours de cette année, ce résultat est tellement frais qu’aucune mesure de corrélations magnétiques n’est réalisée, pour l’instant. Si l’on mettait en évidence la présence d’une stripe magnétique (dont la période serait déterminée) à cet endroit précis, cela ferait un nouveau point commun important avec les cuprates. Cela permettrait à nouveau de pouvoir ainsi tester les modèles effectifs  proposés. Il est, en effet, possible d’étudier théoriquement les phases magnétiques autant que la phase supraconductrice au sein des modèles construits. On pourrait, par exemple, peut être obtenir plus d’informations sur l’importance de la prise en compte de la bande 5d du néodyme en comparant les résultats sur un modèle effectif à une seule bande et un autre à deux bandes comme cela devrait être le cas. Il faut se focaliser sur les résultats expérimentaux, continuer à discuter avec les expérimentateurs car, comme d’habitude, l’expérience est le juge de paix.

Figure 5. Diagramme des phases générique des cuprates supraconducteurs dans le plan température-dopage en trous (haut). Crédits : L. Taillefer, Annual Review of Condensed Matter Physics, vol. 1, p.51-70. Diagramme des phases récemment publié concernant les nickelates supraconducteurs. Crédits : APS/Carin Cain and M.Norman/Argonne National Lab [27]. Dans les deux cas, on constate la présence d'un dôme supraconducteur en fonction du dopage en trous (dénoté p ou x).

La découverte des cuprates supraconducteur avait permis des avancées majeures en matière de progrès sur les techniques expérimentales et théoriques [30]. Il est nécessaire que les nickelates supraconducteurs continuent de bénéficier de l’héritage des cuprates. Ainsi, comme cela avait été fait, il faut absolument chercher d’autres familles de nickelates supraconducteurs (à l’instar des cuprates) en tentant, par exemple, de synthétiser des nickelates composés de trois lamelles de NiO2 par maille élémentaire. En effet, une étude théorique récente argumente qu'un tel nouveau composé tri-layer pourrait augmenter la température critique comme cela était le cas pour les cuprates [31]. Je n’ai pas encore vu d’études utilisant la spectroscopie de photoémission résolue en angle qui avait pourtant joué un rôle crucial pour l’étude des cuprates. Je pense que la détermination expérimentale de la surface de Fermi en géométrie tridimensionnelle par cette méthode comme cela a été fait récemment par l’équipe de Zurich de J. Chang sur les cuprates [22] nous montrera clairement la nature mono- ou multi-bandes des nickelates et pourra ainsi trancher le problème de la modélisation. Par ailleurs, espérons qu’une étude par calculs ab-initio de l’évolution de la structure électronique des nickelates en fonction du dopage en trous sera réalisée prochainement (il n’est pas impossible qu’une équipe Caennaise puisse réaliser cela dans les prochains mois…). Cela permettrait ainsi d’étudier la rigidité des bandes d’énergie des électrons si souvent imposée (à tort) dans les modèles… Enfin, je suis persuadé qu’une étude du magnétisme des nickelates supraconducteurs par diffusion inélastique des neutrons, par exemple, permettrait de réaliser des avancées majeures dans la comparaison cuprates/nickelates que ce soit en régime sous-dopé, sur-dopé et à l’anomalie évoquée précédemment. On pourrait alors comparer directement les résultats théoriques (susceptibilités magnétiques) à l’expérience et identifier les « ingrédients » cruciaux dans les modèles [32, 33]. Bien évidemment, une étude tridimensionnelle des phases magnétiques est nécessaire compte tenu de la nature des nickelates mais aussi des cuprates pour lesquelles une telle étude n’a pas encore été réalisée, à ma connaissance.

Ainsi, les nickelates supraconducteurs commencent peu à peu à dévoiler leurs secrets et leurs connexions avec les cuprates supraconducteurs, eux même renfermant toujours, à l'heure actuelle, des mystères non résolus. Peut être l'un est-il la clé de l'autre ? Affaire à suivre...


[1] D. Li, et al., ‘‘Superconductivity in an infinite-layer nickelate’’, Nature 572, 624 (2019).

[2] J. G. Bednorz et K. A. Muller, ‘‘Possible high-Tc superconductivity in the Ba-La-Cu-O system’’, Z. Phys. B 64, 189 (1986).

[3] P. A. Lee, N. Nagaosa, et X. Wen, ‘‘Doping a Mott insulator: Physics of high-temperature superconductivity’’, Rev. Mod. Phys. 78, 17 (2006).

[4] V. I. Anisimov, et al., ‘‘Electronic structure of possible nickelate analogs to the cuprates’’, Phys. Rev. B 59, 7901 (1999).

[5] M. Crespin, et al., ‘‘Reduced forms of LaNiO3 perovskite. Part1.—Evidence for new phases: La2Ni2O5 and LaNiO2’’, J. Chem. Soc., Faraday Trans. 279, 1181 (1983).

[6] K.-W. Lee, et W. E. Pickett, ‘‘Infinite-layer LaNiO2 : Ni 1+ is not Cu 2+’’, Phys. Rev. B 70, 165109 (2004).

[7] K. Lee, et al., ‘‘Aspects of the synthesis of thin film superconducting infinite-layer nickelates’’, APL Mater. 8, 041107 (2020).

[8] S. Zeng, et al., ‘‘Phase diagram and superconducting dome of infinite-layer Nd1−xSrxNiO2 thin films’’, arXiv:2004.11281 (2020).

[9] Q. Li, et al. ‘‘Absence of superconductivity in bulk Nd1−xSrxNiO2’’. Commun. Mater. 1, 16 (2020).

[10] F. Bernardini et A. Cano, ‘‘Stability and electronic properties of LaNiO2/SrTiO3 heterostructures’’, J. Phys. Mater. 3, 03LT01 (2020).

[11] J. P. Locquet, et al., ‘‘Doubling the critical temperature of La1.9Sr0.1CuO4 using epitaxial strain’’, Nature 394, 453 (1998).

[12] M. Randeria, R. Sensarma, et N. Trivedi, Strongly Correlated Systems, Chapter 2, Springer Series in Solid-State Sciences (2011).

[13] M. Hepting, et al., ‘‘Electronic structure of the parent compound of superconducting infinite-layer nickelates’’, Nat. Mater. 19, 381 (2020).

[14] A. S. Botana et M. R. Norman, ‘‘Similarities and differences between LaNiO2 and CaCuO2 and implications for superconductivity’’, Phys. Rev. X 10, 011024 (2020).

[15] Y. Nomura, et al., ‘‘Formation of a two-dimensional single-component correlated electron system and band engineering in the nickelate superconductor NdNiO2’’ , Phys. Rev. B 100, 205138 (2019).

[16] F. Lechermann. ‘‘Late transition metal oxides with infinite-layer structure: nickelates versus cuprates’’, Phys.  Rev.  B 101, 081110 (2020).

[17] M. Kitatani, et al., ‘‘Nickelate superconductors - a renaissance of the one-band Hubbard model’’, npj Quantum Materials 5:59, https://doi.org/10.1038/s41535-020-00260-y (2020).

[18] C. Weber, et al., ‘‘Scaling of the transition temperature of hole-doped cuprate superconductors with the charge-transfer energy’’, Eur. Phys. Lett. 100, 37001 (2012).

[19] A. Leprévost, ‘‘Ordres non conventionnels et entrelacés du modèle de Hubbard à basse dimensionnalité’’, Thèse de doctorat, Université de Caen Basse-Normandie (2015).

[20] Q. Gu, et al., ‘‘Two superconducting components with different symmetries in Nd1-xSrxNiO2 films’’, arXiv:2006.13123 (2020).

[21] P. W. Anderson, ‘‘The Resonating Valence Bond State in La2CuO4 and Superconductivity’’, Science 235, 1196 (1987).

[22] M. Horio, et al., ‘‘Three-Dimensional Fermi Surface of Overdoped La-Based Cuprates’’, Phys. Rev. Lett. 121, 077004 (2018).

[23] R. Photopoulos et R. Frésard, ‘‘A 3D Tight-Binding Model for La-Based Cuprate Superconductors’’, Ann. Phys. (Berlin) 531, 1900177 (2019).

[24] R. S. Markiewicz, et al., ‘‘One-band tight-binding model parametrization of the high-Tc cuprates including the effect of kz dispersion’’, Phys. Rev. B 72, 054519 (2005).

[25] S. Zeng et al., ‘‘Phase diagram and superconducting dome of infinite-layer Nd1−xSrxNiO2 thin films’’, arXiv:2004.11281 (2020).

[26] D. Li et al., ‘‘Superconducting dome in Nd1−xSrxNiO2 infinitelayer films’’, Phys. Rev. Lett. 125, 027001 (2020).

[27] M. R. Norman, ‘‘Entering the Nickel Age of Superconductivity’’, 10.1103/Physics.13.85 (2020).

[28] J. M. Tranquada, ‘‘Stripes and Superconductivity in Cuprates’’, Physica B 407, 1771 (2012).

[29] M. Raczkowski, R. Frésard, et A. M. Oleś, ‘‘Interplay between incommensurate phases in the cuprates’’, Europhys. Lett. 76, 128 (2006).

[30] A. Georges, ‘‘Cuprates supraconducteurs : où en est-on ?’’, Cours du Collège de France, 2009-2010.

[31] E. M. Nica, et al., ‘‘Theoretical investigation of superconductivity in trilayer square-planar nickelates’’, Phys. Rev. B 102, 020504 (2020).

[32] Y. Sidis, ‘‘Excitations magnétiques dans les ruthénates et les cuprates supraconducteurs : Etudes par diffusion des neutrons’’, Habilitation à diriger des recherches, Université de Paris-Sud XI-Orsay (2008).

[33] J. Bobroff, ‘‘Impuretés et Systèmes Corrélés : des chaînes aux cuprates supraconducteurs’’, Habilitation à diriger des recherches, Université de Paris-Sud XI-Orsay (2004).