Découverte de la supraconductivité dans un nouveau matériau à la fin août 2019 : révolution ou grande illusion ?
La petite histoire que je raconte ici commence fin août 2019. Je me trouvais alors être à un mois de la soutenance de ma thèse. Je profitais des derniers rayons de soleil puissants au bord d’une mer calme et chaude avant de retrouver deux jours plus tard, mon bureau sombre et l’écran éblouissant de mon cher ordinateur caennais. Cependant, comme à mon habitude et même pendant les vacances (hehe) je regarde chaque matin en prenant mon café les dernières actualités scientifiques sur les sites internet des revues à comité de lecture de renom, j’ai nommé Nature, Science ou encore Physical Review… En particulier, ce matin du 28 août 2019, mon smartphone est posé sur la table de la terrasse en plein soleil, je l’allume et me connecte au site de la très prestigieuse revue britannique Nature. Revue au travers de laquelle des découvertes incroyables ont été publiées comme celle de l’électron (J. J. Thomson, 1897), la structure en double hélice de l’ADN (J. D. Watson et F. Crick), la publication de la preuve de la tectonique des plaques par Wilson en 1966 ou encore la publication du génome Humain en 2001. Je fais un léger mouvement de sursaut, je renverse du café sur la terrasse. J’ai un peu de mal à y croire mais l’article est bel et bien publié sous le titre : « Superconductivity in an infinite-layer nickelate ». Je lis l’abstract attentivement (le résumé de l’article en anglais) : une équipe américaine de chercheurs de l’université de Stanford annonce en grande pompe avoir découvert pour la première fois, de la supraconductivité dans un matériau à base d’oxydes de nickel qu’ils ont eux-même synthétisé : un nickelate. Jamais rien de tel n’avait été affirmé et encore moins réellement observé jusqu’à présent. Je crois halluciner. De petites explications s’imposent.
Dans l’histoire des sciences, la découverte d’une phase supraconductrice fait toujours l’effet d’une bombe dans la communauté scientifique. Découverte en 1911 par le physicien Hollandais Heike Kamerlingh Onnes à Leiden au Pays-Bas dans le mercure métallique refroidi à l’hélium liquide (-271°C), la supraconductivité apparaît comme étant l’un des phénomènes les plus fascinants et spectaculaires de la physique. Celle-ci fait systématiquement émerger le fantasme du mouvement perpétuel, de la lévitation, on se prend alors à rêver que l’on pourrait, dans un avenir proche, flotter dans les airs à la manière de Marty sur son Hoverboard comme dans Retour vers le futur. Le phénomène de supraconductivité consistant, comme son nom l’indique, à conduire l’électricité « parfaitement », c'est-à-dire sans perte d’énergie par effet Joule (puisque la résistance électrique s’annule entièrement en dessous d’une certaine température critique) a tout de même donné lieu à un nombre d’applications très importantes. Je peux citer, par exemple, les IRM dont la bobine refroidie à l'hélium liquide est constituée d’un alliage métallique supraconducteur permettant de faire passer un courant très intense et ainsi de générer les forts champs magnétiques nécessaires à la technologie d'imagerie mais je peux aussi citer le train à sustentation magnétique japonais Maglev en service depuis 2004 dont le fonctionnement se fonde sur une technologie de lévitation grâce à la supraconductivité.
Cependant, jusqu’à la fin des années 1970, les températures critiques maximales de transition supraconductrices sont atteintes aux alentours de -250°C dans certains alliages métalliques. Il s’agissait de la limite théorique prédite par la théorie de la supraconductivité unanimement admise et développée en 1957 par les trois physiciens Bardeen, Cooper et Schrieffer qui leur a valu le prix Nobel (le deuxième pour Bardeen qui l'avait obtenu une première fois pour la découverte du transistor !) et puis plus rien. Il semblait alors impossible de trouver des matériaux aux températures critiques de transition plus élevées… Coup de théatre en Janvier 1986, puisque deux chercheurs du laboratoire d’IBM à Zurich, Bednorz et Müller, annoncent avoir découvert, sur la base des travaux de chercheurs de Caen, de la supraconductivité au voisinage de -240°C (dont la température critique se trouve être au-delà de la limite théorique) dans un composé à base d’oxydes de cuivre : un cuprate. Comme je l’ai dit, ce fut une annonce tellement incroyable qu’elle a fait l’effet d’une bombe puisque un nombre considérable de groupes de recherche dans le monde entier se mettent alors subitement à travailler sur ce nouveau matériau « supraconducteur à haute température critique ». Plusieurs articles font alors leur apparition très peu de temps après indiquant une reproduction avec succès des résultats de l’équipe suisse. Mais c’est en 1987 qu’un très grand bond en avant est réalisé puisque l’équipe de l’université de Houston dirigée par Paul Chu annonce avoir découvert un nouveau cuprate dont la température critique dépasse de façon spectaculaire la température d’ébullition de l’azote liquide (- 196°C). La course au nouveaux supraconducteurs de la famille des oxydes de cuivre était lancée à vive allure, et les vieux fantasmes rêvés d’une supraconductivité à température ambiante semblaient, plus que jamais, se trouver à portée de main.
Cependant, les mécanismes microscopiques décrivant le comportement des électrons dans ces cuprates supraconducteurs s’avèrent être extrêmement complexes à modéliser théoriquement, peut être plus que ce que l’on aurait imaginé. Cela n’empêche, cependant, pas les expérimentateurs de continuer à avancer coûte que coûte vers le précieux Graal puisque certains cuprates ont continué à être découverts 20 ans plus tard et dont les températures critiques arrivent à atteindre les -130°C à pression ambiante, ce qui est déjà un résultat exceptionnel. Cependant, en dépit d’efforts de Recherche plus qu’intenses, nous sommes en 2019 et force est de constater que, 33 ans après la découverte de Bednorz et Müller, aucun consensus n’est formellement identifié sur l’origine microscopique de la supraconductivité à haute température critique des cuprates. Le comportement des électrons demeure mystérieux et controversé… Plusieurs hypothèses sont avancées. Parmi elles, celle que l’on appelle l’hypothèse « du modèle de Hubbard » (décrivant les fluctuations de spin des électrons sautant sur un réseau carré 2D d’atomes de cuivre en atomes de cuivre) est plus que jamais sur la table. Cependant, les résultats numériques ne sont pas convaincants au regard du diagramme des phases expérimental des cuprates : la réalité n'est pas correctement reproduite car peu de supraconductivité est détectée. Peut être faudrait-il éventuellement tenter de passer à un modèle 3D qui s'avèrerait être bien plus réaliste ? (c’est ce que j’ai cherché à démontrer durant ces trois dernières années dans le cadre de ma thèse de doctorat disponible à l'adresse https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02346727). Quoiqu’il en soit, les cuprates supraconducteurs sont des matériaux qui continuent toujours autant à mettre en émoi la communauté scientifique tant ceux-ci sont controversés et constituent un problème ouvert.
Alors maintenant, venons-en aux faits. Quel est le lien entre la recherche sur les cuprates supraconducteurs avec cette découverte de la fin août 2019 ? Tout d’abord, une nouvelle phase supraconductrice est découverte, ce qui est toujours perçu comme étant un scoop en physique. Deuxièmement, celle-ci est mise clairement en évidence pour des températures critiques relativement élevées (10-15K) et surtout au sein même d'un nouveau matériau qui se trouve être isostructural (structure cristalline en feuillets identique) aux cuprates supraconducteurs ! Une nouvelle porte de recherche vers l’inconnu vient de s’ouvrir puisque tout reste à faire sur ces nouveaux composés à base d’oxydes de nickel (le nickel est un métal de transition et l'élément voisin du cuivre dans le tableau périodique, qui plus est). Les analogies claires avec les cuprates sont de toute évidence stupéfiantes et pourraient peut être aider à percer le mystère du comportement des électrons conduisant à la supraconductivité des cuprates.
Ainsi, à la fin octobre 2019, à l’institut des nanosciences de Paris (INSP), une réunion extraordinaire rassemblant physiciens et chimistes du solide issus des laboratoires de tout l’hexagone a été organisée par les spécialistes de cette branche de la physique des matériaux répondant au doux nom de « physique des électrons corrélés » (voir le site du GDR Meeticc : http://gdr-meeticc.cnrs.fr/). Je m’y suis donc rendu par pûre curiosité. Les discussions et remarques portant sur ce fameux article Nature fusaient de part et d'autre mais surtout beaucoup d’incertitudes planaient puisque les résultats présentés dans l’article n’avaient alors pas encore été reproduits. Il fallait donc commencer tout d'abord par reproduire les résultats des américains afin d'envisager ensuite de fabriquer de gros cristaux de ces nickelates et de les étudier au travers des diverses techniques expérimentales dont la recherche française se situe à la pointe. Une floppée d’articles scientifiques seraient bien évidemment à la clé, ce qui voudrait dire pour un chercheur un gain important de renommée mais aussi un gain d’argent important afin d’étendre ses activités de recherche. C'est, par ailleurs, dans l'intérêt des laboratoires de suivre les mouvements collectifs que l'on peut malheureusement qualifier de "mode", de façon à entrer dans la compétition internationale et ainsi accroître leur rayonnement. Il régnait effectivement une forme d’excitation peut être, à bien des égards, trop prématurée et l’idée consistant à déposer des projets financés par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) en collaboration avec diverses équipes de divers laboratoires était très souvent évoquée et discutée sérieusement.
Mais finalement, qu’ai-je retenu globalement de cette réunion si ce n’est que les buffets du midi proposés par le CNRS ne sont vraiment pas mauvais ? Comme d’habitude le souci de trouver des fonds et des moyens humains (des étudiants en priorité car c'est bien connu que cela revient toujours moins cher que de jeunes chercheurs tout juste thésés...), certes, mais aussi et avant tout le fait qu’un nombre colossal de questions se sont mises à émerger et que personne n’en possède la réponse. Les nickelates sont peut-être identiques en structure à certains cuprates supraconducteurs dont les températures critiques sont très élevées mais… il y a tout de même des différences cruciales (et c’est ici que réside une grande partie de l’intérêt de ces nouveaux nickelates supraconducteurs). Je ne rentre pas dans les détails ici, mais par exemple, afin de rendre un cuprate supraconducteur il faut, en complément d’une baisse de la température, retirer quelques électrons des sites de cuivre formant le matériau : on parle de doper le matériau en "trous". Le fait d’injecter des trous permet aux électrons occupant un site voisin de sauter beaucoup plus facilement d’atome en atome et c'est ainsi que des corrélations subtiles entre les électrons se mettent alors en place (ce qui est très difficile à appréhender théoriquement mais c'est bien cela qui conduit à la fameuse supraconductivité exotique). Lorsqu’aucun trou n’est injecté, le cuprate est un isolant aux propriétés magnétiques très caractérisées. En revanche, le nickelate lorsqu'il n'est pas dopé en trous est, quant à lui, un métal et ... non-magnétique, à plus forte raison !… Un tel contraste vient directement toucher en son cœur l’hypothèse selon laquelle les fluctuations magnétiques seraient à l’origine de la supraconductivité des cuprates après un dopage en trous, en supposant que le mécanisme serait le même dans ces deux matériaux. Pourtant un nombre gargantuesque de travaux apportant des arguments en faveur de cette hypothèse ont été publiés sur les cuprates. Faudrait-il donc tout refaire ? Tout remettre en cause ? Se serait-on donc trompé depuis plus 20 ans ?! Ce serait terrible à admettre pour certains chercheurs qui ont consacré leur vie à tenter de faire valider cette hypothèse… Peut-être que la supraconductivité des nickelates trouve une origine tout autre que celle des cuprates ? On aimerait tellement que non. Mais si les origines microscopiques sont identiques, qu’est-ce que cela pourrait bien être ? Serait-ce finalement dû aux oscillations microscopiques des atomes dans le réseau cristallin comme l’ont déjà proposé certains auteurs ? La question demeure ouverte…
Quoiqu’il en soit, nous sommes aujourd’hui le samedi 7 décembre 2019 et lorsque je me connecte sur Google Scholar je me rends compte que depuis sa publication, il y a 3 mois, l’article Nature intitulé « Superconductivity in an infinite-layer nickelate » est déjà cité 31 fois. Ce qui est, en si peu de temps, purement exceptionnel. Cependant, même si les théories bouillonnent, très peu de nouvelles expériences sont proposées à ce jour. Je note que tout récemment un certain nombre d'articles en pré-publication (ce qui signifie que l'article en question n'est pas encore vérifié et rapporté par les pairs) ont été mis en ligne sur le site Arxiv et sont intitulés : « Absence of superconductivity in bulk Nd1-xSrxNiO2(x = 0.2, 0.4) » (en ligne le 6/11/19) ; « Absence of superconductivity in Nd0.8Sr0.2NiOx thin films without chemical reduction » (en ligne le 12/11/19). Inutile de disposer d'une grande maîtrise de l’anglais pour s’apercevoir que cela ne sens pas très bon, mais laissons du temps au temps. Alors que penser des nickelates supraconducteurs, véritable eldorado ou grande illusion ? Les murs vont ils résister ? L’avenir nous le dira mais pour l’instant il faut continuer de creuser.