Albert Camus, La célébration des noces de l’homme avec le monde

Souvent désavoué par l'intelligentsia, songeons à l’essai de l'existentialisme Brochier, Camus, philosophe pour classes terminales, pour sa clarté, ses textes accessibles et sa pensée jugée simpliste alors qu’elle ne fait preuve que de la modestie d’un homme honnête avec la vie, avec lui-même et les autres. N’y­ a-­t-­il pas plus de grandeur à partager son amour du monde, de la vie, de l’homme, de la vérité, de la liberté et de la justice simplement, dans une langue compréhensible par tout un chacun, en particulier par des jeunes en pleine construction d’eux même et en constante recherche de sens à donner à l'existence,­­ que d'écrire d’assommants traités pour définir des notions complexes résultant des méandres d’une pensée assujettie à la logique, cette religion de la raison usant sans mesure de concepts obscurcis par l’épais brouillard des mots savants employés et la profusion des références maîtrisées par une poignée d’experts, des idées abstraites désignées avec des majuscules où, par exemple, par Justice, il faudrait entendre exactement l'extrême contraire de la justice et que seuls quelques élus sont à ­même d’en saisir le sens ? Si être philosophe consiste en la construction de systèmes alambiqués et distillés pour n’être qu’appréciables à ceux qui ont un goût prononcé de l’élitisme, un rapport névrosé à l’humanité et qui ont eu la chance de le développer par une éducation soi-disant supérieure sous le soleil sombre des privilégiés, « alors je ne suis pas de ceux-là » pourrait répondre l’auteur de L’Etranger. La vraie générosité ne consiste pas à se complaire dans un monde restreint d'intellectuelles et à disserter sur la vie, l’amour, la mort, entre soi mais à chercher un moyen de vivre, d’aimer, de mourir et de partager ses découvertes avec le plus grand nombre à la manière des philosophes antiques. Peu importe les grandes vérités de ce monde si je n’ai pas le souci d'avancer dans l’univers dans lequel je suis plongé et d’en ressentir, à chaque instant, la présence.

J’ai découvert Albert Camus non pas au lycée, mais dès le collège où j’envisageais de devenir prêtre. Erreur de jeunesse, jugement trahi par une éducation catholique dès mon plus jeune âge et l’habitude de la foi, il ne m’a fallu que d’une lecture de La Peste pour prendre conscience de mon égarement à savoir que Dieu n’existait pas. Albert Camus m’a sauvé la vie dans la mesure où une existence dévouée à un hypothétique au-delà, à prendre plaisir à réfréner mon désir, c’est-à-dire à renier ce qui me fait, dans l’espoir d’être jugé bon par un être qui permet l’agonie des enfants, ne peut qu’aboutir à la négation de la vie, ici et maintenant. J’ai alors commencé à m'intéresser à cet auteur, à lire son œuvre et j’ai tout de suite été séduit par la pensée et l’engagement de cet homme impeccable qui n’a eu de cesse de défendre la justice autant que la liberté et de se révolter contre toute les formes de violence et d’oppression.

Pour ceux qui ne le connaissent pas encore et qui voudraient comprendre sa pensée solaire qui invite à une vie philosophique, je recommande la lecture de Noces, un petit essai de quelques pages mais d’une infinie richesse. L’introspection qu’il fait, la description des sensations humaines face au sublime, ses réflexions qui découlent de son expérience et de son rapport hédoniste au monde sont simples et sincères : il dit les seules certitudes qui nous sont humblement accessibles à nous Humains, trop humain, modestement, avec une prose poétique, claire et précise. A chaque relecture de ce texte magnifique, je redécouvre de nouvelles facettes, brillantes et étincelantes, qui me rapprochent davantage de ce monde que j’éprouve. Combien je suis envieux de votre (re­)découverte de ses Noces...

Nolan